Bonjour,
Aujourd’hui, j’ai envie de vous parler de Transfert et de contre transfert, et plus exactement de
"l’agir du protocole" dans le contre transfert.
Dans son livre "ça n’empêche pas d’exister" (Seuil 1985) Octave Mannoni raconte ces déboires avec une de ces patientes qui a beaucoup de mal à parler, mais qui a aussi beaucoup de mal à quitter le cabinet à la fin des séances. Sur le divan, elle rompt le silence en levant ses jambes en l’air d’une manière indécente, elle jette au plafond le paquet de mouchoirs qu’elle tient à la main, et elle crie ‘’merde, merde, merde !’’. Le psychanalyste n’a pas très envie de s’occuper d’elle. Pendant un moment, il envisage de l’adresser à un autre analyste, mais il ne s’y résout pas. Il préfère attendre un changement, en supportant cette situation inconfortable. Le thérapeute se rend compte que, à chaque fois que la patiente lâche ses mots scatologiques, lui le professionnel, tourne le regard vers la plante posée sur son bureau. Cette plante est une Ferula narthex, plus communément appelé Férule. Cette plante possède une hampe florale qui peut faire plus d’un mètre, se dessèche en devenant à la fois légère et très dure. C’est pourquoi elle a été utilisée dans l’antiquité pour taper sur les doigts des écoliers. C’est d’ailleurs devenu une expression : "être sous la férule de quelqu’un", c’est être soumis à son autorité. Il se trouve qu’Octave Mannoni a fréquenté, enfant, une école de village dans un pays méditerranéen, et il y a reçu des coups de férule.
En portant ainsi attention à ses propres associations, le thérapeute ne peut que reconnaitre son souhait inconscient : que la patiente soit corrigée pour son comportement sur le divan. Il se laisse alors aller à différentes considérations littéraires qui dessinent le thème de la honte.
Swann qui, après avoir lu par transparence une lettre d’Odette à son amant, faisait une grimace compulsionnelle dès qu’il y repensait. Ou encore Sartre racontant qu’enfant, il allait faire des grimaces devant un miroir quand il était saisi de honte. Et puis le thérapeute réfléchit à la différence entre des sociétés où l’éducation s’appuie sur la culpabilité et celles où elle utilise la honte.
Pendant ce temps, la patiente reste dans le silence, seulement interrompu par instant par ses exclamations scatologiques.
Un soir, alors que Octave Mannoni est en train de lire "le journal de Gombrowicz", le thérapeute se surprend à répéter à voix haute et compulsivement une phrase qui n’a pourtant rien de particulier. Il relit alors la page. La phrase qui précède lui rappelle un souvenir dont il n’est pas très fier. Lui vient alors cette question : quelle honte ancienne peut bien faire agir sa patiente d’une façon aussi compulsive ? D’une manière plus spectaculaire que le geste de Swann, les grimaces de Sartre ou sa propre lecture à voix haute.
Lors des séances suivantes, le thérapeute n’a pas besoin de communiquer cette interprétation à la patiente. Pas besoin de lui poser la question "quelle honte ?", ça sonnerait trop près de "quelle honte !". Il garde pour lui l’interprétation (ce doit être la honte), mais sa position dans le transfert est désormais différente. Ses interventions ne sont plus marquées par cette affaire de honte, il n’est plus dans cette position d’instituteur dans laquelle le transfert l’avait bloqué. Il n’écoute plus la patiente avec une férule à la main. Et le changement arrive finalement de son côté, elle peut commencer à lui parler…
Eric Rolland, directeur de l’Institut.
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